« On devrait en faire un centre aquatique, avec des pédalos ! ». Dégouté, Armando préfère tourner le dos au stade Mercier, situé Boulevard Henri Dunant, à deux pas du centre-ville. L’enceinte, vestige des belles années de l’AS Corbeil-Essonnes (ASCE), fait face au Tabac des sports où Armando a désormais ses habitudes, lui qui a troqué le ballon rond pour les canassons. Ancien joueur du club, il a vu la famille Garcia s’installer à Corbeil à la fin des années 60 : « Son père, José, venait de terminer sa carrière de joueur professionnel, se souvient-il, il a très vite repris le club en main, l’équipe première était alors en Division d’honneur. Il avait du caractère, ses entraînements étaient très physiques et il ne fallait pas l’y reprendre à deux fois. Rudi, lui, était très humble. Il a eu des parents extras, des gens très bien ».
Au nom du père
L’AS Corbeil-Essonnes, Rudi Garcia y est donc tombé dedans lorsqu’il était petit. Natif de Nemours (Seine-et-Marne), il débarque dans la ville essonnienne en 1970 à l’âge de six ans. Son père, d’origine andalouse, est à l’époque directeur des sports à la mairie et entraîneur de l’équipe première du club. Inutile de préciser qu’il va lui transmettre sa passion pour le ballon rond : « Son histoire avec le foot commence très jeune, la famille Garcia est une famille à 100% football », confie Patricia Martin, 63 ans. Fort de trente ans d’engagement à l’ASCE, elle a bien connu Rudi et son père, José, qui lui a mis le pied à l’étrier : « Ils n’avaient pas le même caractère car ils n’étaient pas issus de la même génération, poursuit celle qui fut longtemps dirigeante au club. Il était assez exigeant, mais il a profondément marqué Rudi ».
Maria Pozo-Ana, responsable administrative de l’école de foot et de la préformation de l’ASCE depuis 18 ans, connaît elle aussi la famille : « La mère de Rudi était la secrétaire de mon médecin, c’est une perle, c’est le bon dieu pour lui ». De son père, qu’elle a côtoyé au bord des terrains, elle garde le souvenir d’un coach qui « vouvoyait ses joueurs » : « C’était une vraie peau de vache ! C’était le prof et ses élèves (rire). Quand Rudi se faisait engueuler par son père, il ne bronchait pas avant l’arrivée de sa maman à qui il racontait tout ! ».
Dans son autobiographie parue en 2014*, l’ancien coach de la Roma confirme, en parlant de son enfance : « Depuis que je suis tout petit, le foot est présent dans toutes mes journées. C’est comme cela quand on est passionné ! Mon père était joueur et entraîneur, j’ai suivi ses traces (…) Une jeunesse enchantée dans une famille soudée, marquée par l’autorité d’un père passionné de football, qui a sut transmettre à son fils le virus du ballon rond ».
Corbeil, un tremplin
Sous les ordres de son père, décédé en 2009, Rudi Garcia entame donc sa carrière de footballeur. De 1970 à 1979, il porte les couleurs de l’AS Corbeil-Essonnes où il évolue milieu offensif. Puis il rejoint les cadets nationaux de Viry-Châtillon jusqu’en 1982, date à laquelle il signe un contrat de stagiaire professionnel à Lille. Suivront Caen (1988–1991) et Martigues (1991–1992), avant que sa carrière ne soit stoppée à 28 ans, la faute à des blessures récurrentes au dos et aux genoux.
Après s’être arrêté deux ans, le temps d’obtenir une licence STAPS à la faculté d’Orsay et de passer ses diplômes d’entraîneur, il revient à Corbeil pour, cette fois, entamer une carrière de technicien : « Corbeil était déjà un bon club, se souvient Patricia Martin, mais Rudi voulait le faire monter encore plus haut ».
C’est également à cette époque qu’il rencontre ceux qui deviendront sa garde rapprochée : Frédérique Bompard, gardien de but au club et désormais son fidèle adjoint. Mais aussi Christophe Prudhon, son superviseur : « Le club et Rudi recherchaient un entraîneur pour l’équipe réserve, c’est comme ça que je suis arrivé à l’ASCE, explique-t-il. Par la suite, je suis devenu son adjoint en CFA2 ». Ensemble à Dijon, Lille, la Roma et aujourd’hui l’Olympique de Marseille, les trois compères de Corbeil ne vont plus se quitter : « Il aime être entouré de personnes de confiance qu’il connaît depuis longtemps, poursuit celui qui va désormais superviser les adversaires de l’OM. Les Chinois ont l’habitude de dire que la vie est faite de boucles, pour Rudi, Corbeil est un tremplin d’où il est parti puis reparti ».
Si le coach français a gagné en expérience au fil de son parcours, Christophe Prudhon estime que l’homme, lui, n’a pas changé : « Le Rudi de Corbeil est le même qu’aujourd’hui. Il n’a pas pris la grosse tête et reste quelqu’un de très humain et d’excellent en communication ». Un trait de caractère resté dans la mémoire de certains de ses anciens joueurs de l’époque.
« Un bosseur, un Monsieur »
Lorsqu’il prend en main l’équipe senior de Corbeil, Rudi Garcia souhaite voir plus loin et occupe en parallèle le poste de directeur technique : « C’était un bosseur, il aimait ça, il savait ce qu’il voulait, se souvient Foued Mabrouk qui a évolué sous ses ordres lors de la saison 97–98. Jean-Luc Babin, éducateur et joueur junior sous l’ère Garcia, se souvient de quelqu’un de charismatique : « Il était déjà pro dans sa façon de faire. C’était un Monsieur. Sa simple présence au bord du terrain pouvait tout changer ». Une aura présente également en dehors du terrain : « Un soir, lors d’une réunion technique, il pose une question sur le foot animation. Nous étions plus d’une vingtaine et seule une personne a su répondre. On s’est regardé en se disant : Rudi, c’est un extraterrestre, il est au-dessus, il n’a rien à faire là (rire) ».
Reste que ses années passées sur le banc de l’ASCE comptent aujourd’hui parmi les plus belles que le club ait connu. Sous son impulsion, l’équipe première accède à la CFA 2 et manque de peu la montée en CFA. Le jeune entraîneur n’oublie pas non plus d’impliquer les jeunes du club : « Il leur faisait confiance. Lors de la saison 94–95, il en a fait monter un paquet après qu’ils aient battu les titulaires habituels lors d’un match d’entraînement », sourit Jean-Luc Babin. « Il avait ses principes, ajoute Foued Mabrouk. Si un joueur était bon mais n’avait pas le bon état d’esprit, il l’écartait ».
Alors forcément, son départ pour l’AS Saint-Etienne où il rejoint Robert Nouzaret en 1998, va laisser des traces.
Après lui, le déluge ?
Au Tabac des sports, Armando ressasse ses souvenirs : « À l’époque, les joueurs se donnaient rendez-vous devant le café avant les matches. On les voyait tous défiler, c’était convivial, tout le monde était ami. Maintenant l’AS Corbeil-Essonnes c’est zéro, il n’y a plus rien ». Nostalgique, il tente d’expliquer la chute du club depuis le départ de Rudi Garcia : « Avant, l’équipe senior pouvait s’appuyer sur les jeunes du club qui avaient de bons résultats. Les minimes, cadets et juniors évoluaient en Ligue, certains ont même été champions de Paris. Aujourd’hui, il n’y a plus de jeunes, donc plus de bons résultats au-dessus ».
Jadis en CFA2, le club évolue désormais en Excellence, soit cinq divisions en dessous. Et le club perd effectivement ses jeunes : « Nous avons 30% d’effectifs en moins sur l’école de foot par rapport à l’an dernier, regrette Maria Pozo-Ana. Nous rencontrons aussi des problèmes avec nos U17 ». Selon elle, les dirigeants de l’époque n’ont pas forcément fait ce qu’il fallait pour maintenir le club là où le coach français l’avait laissé : « Rudi a monté le club très haut, il contrôlait la partie sportive de A à Z. Ceux qui sont arrivés derrière l’ont coulé et la mairie a laissé faire. À son départ, plusieurs éducateurs et joueurs l’ont suivi et rien a été fait pour préserver le club ».
Plus généralement, les gens qui l’ont côtoyé regrettent une époque : « Il y a eu une cassure, notamment dans les mentalités, reconnaît Patricia Martin. Rudi faisait des entraînements le samedi matin et tout le monde était là sans rechigner. Aujourd’hui, les jeunes sont respectueux mais n’ont plus la même mentalité. Quand ce n’est pas la pluie, c’est le froid qui pose problème. Il faut parfois leur donner des coups de pied au cul pour qu’ils viennent s’entraîner ».
La dégradation du climat social a également compliqué les choses : « Aujourd’hui, on est gêné dans l’organisation, déplore Jean-Luc Babin. Avant, les gamins des Tarterêts jouaient avec ceux de Montconseil. Maintenant, les jeunes sont étiquetés et ont parfois des difficultés à jouer avec d’autres issus de quartiers ou de villes différentes ».
Si Rudi Garcia est aujourd’hui loin de l’ASCE, jeunes et anciens continuent de suivre son parcours, fiers de ce qu’il est devenu : « Madame Dupré, dirigeante historique du club aujourd’hui en maison de retraite, m’a appelé pour me dire qu’elle était contente de l’arrivée de Rudi à Marseille, sourit Patricia Martin. Et puis mon petit-fils voulait de son côté que je lui prête la vielle licence de Rudi pour la montrer à ses copains ! »
Avec Franck Raviot, entraîneur des gardiens de l’équipe de France, ou encore Walid Regragui, ancien international marocain, Rudi Garcia représente la réussite passée de l’AS Corbeil-Essonnes. Clin d’œil du destin, il retrouvera à Marseille un autre Corbeil-Essonnois. En août 2015, Suan Besic, jeune gardien de but de 18 ans, s’est en effet engagé auprès du club phocéen en tant que stagiaire professionnel. Pour tenter, qui sait, de redorer le blason vert et blanc.
*Tous les chemins mènent à Rome (Denis Chaumier, Hugo Sport, 2014)
Le parcours de Rudi Garcia
Joueur amateur
– AS Corbeil-Essonnes (1970–1979 et 1994–1996)
– ES Viry-Châtillon (1979–1982)
Joueur professionnel
– LOSC (1983–1988)
– SM Caen (1988–1991)
– FC Martigues (1991–1992).
Pour un total de 127 matches et 5 buts marqués.
Entraîneur
– AS Corbeil-Essonnes (1994–1998)
– AS Saint-Etienne (1999–2001, préparateur physique puis entraîneur en binôme avec Jean-Guy Wallemme)
– Dijon (2002–2007)
– MUC 72 (2007–2008)
– LOSC (2008–2013)
– AS Roma (2013–20116)
– Olympique de Marseille (2016– )
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